UICN: la crise que traverse la vie sauvage pire que la crise économique
La vie sur la planète est gravement menacée, malgré l’engagement d’inverser la tendance pris par les dirigeants mondiaux, selon une analyse détaillée de la Liste rouge UICN des espèces menacées™.
Publiée tous les quatre ans, l’étude de l’UICN paraît aujourd’hui juste avant la date fixée par les gouvernements pour évaluer le degré de réalisation de l’objectif 2010 de réduction de la perte de biodiversité. Le rapport de l’UICN, Wildlife in a Changing World (La vie sauvage dans un monde en mutation) montre que l’objectif 2010 ne sera pas atteint.
« Lorsque les Etats prennent des mesures pour réduire la perte de biodiversité, il y a quelques avancées, mais nous sommes encore loin d’avoir inversé la tendance », dit Jean-Christophe Vié, Directeur adjoint du Programme de l’UICN pour les espèces et rédacteur principal de la publication. « Il est temps de reconnaître que la nature est la plus grande entreprise du monde et qu’elle œuvre – gratuitement – au profit de 100% de l’humanité. Les Gouvernements devraient faire des efforts aussi importants, sinon plus, pour sauver la nature que pour sauver les secteurs économiques et financiers. »
L’étude analyse la situation de 44 838 espèces de la Liste rouge de l’UICN et présente les résultats par groupes d’espèces, régions géographiques et habitats (marins, eau douce, terrestres).
869 espèces sont éteintes ou éteintes à l’état sauvage; ce chiffre atteint 1159 si on y ajoute les 290 espèces en danger critique d’extinction classées comme étant « probablement éteintes ». Dans l’ensemble, au moins 16 928 espèces sont menacées d’extinction. Etant donné que l’analyse ne porte que sur 2,7% des 1,8 millions d’espèces décrites, ce chiffre est considérablement sous-estimé, mais il représente un instantané utile de ce qui arrive à l’ensemble des formes de vie sur la terre.
Un nombre plus élevé d’espèces d’eau douce a été évalué, ce qui donne une meilleure idée de leur situation critique. Ainsi, en Europe, 38% des poissons sont menacés ; en Afrique de l’Est, 28%. La forte connectivité des systèmes d’eau douce, qui permet aux espèces envahissantes et à la pollution de se propager rapidement, et une exploitation des ressources en eau tenant peu compte des espèces qui y vivent sont à l’origine de ces chiffres.
Dans les océans, le panorama est également sombre. Le rapport montre qu’une grande variété d’espèces marines subit des pertes potentiellement irréversibles en raison de la surpêche, le changement climatique, les espèces envahissantes, l’urbanisation du littoral et la pollution. Au moins 17% des 1045 espèces de requins et de raies, 12,4 % des mérous et six sur les sept espèces de tortues marines sont menacés d’extinction. Particulièrement préoccupant, le fait que 27% des 845 espèces de coraux formant des récifs sont menacées, 20% sont quasi menacées et 17% ne sont pas suffisamment connues pour être évaluées. Les oiseaux marins sont beaucoup plus menacés (27,5% en danger d’extinction) que les oiseaux terrestres (11,8%)
« Imaginez la pêche sans poissons, l’exploitation forestière sans arbres, le tourisme sans récifs coralliens ni autres espèces sauvages, les cultures sans pollinisateurs », explique J.C. Vié. « Imaginez les dommages pour nos économies et nos sociétés si tout cela était perdu. Tous les animaux et les plantes qui constituent la trame extraordinaire de la vie sur la planète ont un rôle spécifique et assurent des biens essentiels : nourriture, médicaments, oxygène, eau salubre, pollinisation des cultures, stockage du carbone et fertilisation des sols. L’économie dépend complètement de la diversité des espèces. Nous avons besoin de toutes les espèces, et de populations nombreuses. C’est simple : nous ne pouvons littéralement pas nous permettre de les perdre. »
Le rapport montre que près d’un tiers des amphibiens, plus d’un oiseau sur huit et près d’un quart des mammifères sont menacés d’extinction. Pour certaines catégories de plantes, comme les conifères et les cycadacées, la situation est encore plus préoccupante, avec 28% et 52% d’espèces menacées respectivement. Dans tous ces cas, la principale menace est la destruction des habitats, en raison de l’agriculture, des aménagements ou encore de l’exploitation forestière.
Chez les amphibiens, la chytridiomycose, une maladie infectieuse provoquée par un champignon, touche un nombre croissant d’espèces et complique les actions de conservation. Chez les oiseaux, le plus grand nombre d’espèces menacées se trouve au Brésil et en Indonésie, mais la plus forte proportion d’oiseaux menacés ou éteints correspond aux îles océaniques. Les espèces envahissantes et la chasse sont les menaces principales. Pour les mammifères, la chasse non durable est le danger le plus important, après la destruction des habitats. L’impact est fort en Asie, où la déforestation avance aussi rapidement.
« La lecture du rapport peut paraître déprimante », dit Craig Hilton Taylor, responsable de l’Unité de l’UICN en charge de la Liste rouge et co-rédacteur de l’ouvrage. « Il nous indique que la crise de l’extinction est aussi mauvaise que nous le craignions ou même pire. Mais il montre aussi les tendances suivies par les espèces, ce qui est essentiel pour prendre les bonnes décisions. D’ici 2010, la communauté internationale devrait utiliser ce rapport à bon escient pour répondre à la situation ».
Le changement climatique n’est pas la principale menace pour les espèces sauvages à l’heure actuelle, mais il pourrait bientôt le devenir, d’après l’étude. Ayant examiné les caractéristiques biologiques de 17 000 espèces d’oiseaux, d’amphibiens et de coraux formant des récifs, le rapport conclut qu’une part importante des espèces actuellement non menacées d’extinction sont sensibles au changement climatique. C’est le cas pour 30% des oiseaux non menacés, 51% des coraux non menacés et 41% des amphibiens non menacés, qui ont tous des caractéristiques les rendant vulnérables au changement climatique.
Les indices de la Liste rouge permettent de suivre les tendances du risque d’extinction chez différents groupes d’espèces. De nouveaux indices ont été définis, avec des résultats intéressants. La détérioration se poursuit pour les oiseaux, les mammifères, les amphibiens et les coraux, avec un déclin particulièrement rapide pour ces derniers. Des indices ont aussi été calculés pour des espèces d’amphibiens, de mammifères et d’oiseaux utilisées pour la nourriture et la médecine. Les résultats montrent que les espèces d’oiseaux et de mammifères utilisées à ces fins sont beaucoup plus menacées. La diminution de ces ressources a des effets sur la santé et le bien-être des populations qui en dépendent directement.
« La Liste rouge de l’UICN ouvre une fenêtre sur un grand nombre de grands enjeux de notre temps, y compris le changement climatique, la destruction des systèmes d’eau douce et la surpêche », explique Simon Stuart, Président de la Commission de la sauvegarde des espèces de l’UICN et co-rédacteur. « Si nous ne traitons pas les causes essentielles de la non durabilité de la planète, les idéaux élevés des Etats en matière de réduction des taux d’extinction ne compteront pour rien. »
Pour lire le texte complet du rapport, Wildlife in a Changing World – an analysis of the 2008 ϲʿֱֳ Red List of Threatened Species™, (Les espèces sauvages dans un monde en mutation: une analyse de la Liste rouge UICN des espèces menacées 2008) cliquez ici :
Pour plus d’informations ou pour des entretiens, veuillez contacter :
- Sarah Horsley, relations presse UICN, tél. +41 22 999 0127, mobile +41 79 526 3486, [email protected]
Notes pour les rédacteurs
- En 2002, presque tous les gouvernements se sont engagés en faveur de l’objectif 2010 pour la biodiversité “assurer, d’ici 2010, une réduction significative du rythme actuel de perte de biodiversité sur le plan mondial, régional et national, afin de contribuer à la réduction de la pauvreté et au profit de toutes les formes de vie sur la planète”. Le libellé de cet objectif souligne les raisons pour lesquelles nous devons sauvegarder la nature: sa valeur utilitaire et son importance pour le bien-être humain, mais aussi sa valeur intrinsèque (esthétique, spirituelle et récréative).
- L’évaluation ne porte que sur 2,7% des 1,8 millions d’espèces décrites sur la planète; néanmoins, la Liste rouge de l’UICN représente un instantané utile de la situation actuelle des espèces et met en évidence le besoin d’agir pour la conservation.
- Reconnue depuis longtemps, la Liste rouge de l’UICN est la source d’information la plus complète au monde sur l’état de conservation des espèces animales et végétales. Elle est fondée sur un mécanisme objectif d’évaluation du risque d’extinction pour chaque espèce. Les espèces classées comme étant En danger critique d’extinction, En danger et Vulnérables sont collectivement considérées comme menacées. La Liste rouge n’est pas un simple registre de noms et des catégories de menace correspondantes. Elle est un riche réservoir d’informations sur les menaces qui pèsent sur les espèces, leurs besoins écologiques, les endroits où elles vivent, et sur les mesures de conservation susceptibles de réduire ou d’empêcher les extinctions.
- L’étude Wildlife in a changing world est une analyse approfondie de la Liste rouge de l’UICN, dont les résultats sont présentés par groupes d’espèces et par biomes (eau douce, marin, terrestre). Elle explique aussi en détail ce qu’est vraiment la Liste rouge, comment on fait les évaluations, mettant l’accent sur les grands progrès effectués récemment pour élargir la diversité des espèces figurant sur la Liste. Un chapitre est consacré aux menaces croissantes liées au changement climatique. Un autre chapitre traite de la région méditerranéenne, un haut lieu de biodiversité menacé, dont la connaissance a beaucoup progressé ces dernières années.
- Les oiseaux sont le groupe le mieux connu, avec moins de 1% d’espèces classées en « données insuffisantes », c’est-à-dire que nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour déterminer si elles sont menacées ou pas. Cependant, dans de nombreux groupes, nous ne pouvons pas dire quelle est la situation d’une part bien plus importante des espèces, et nombre d’entre elles pourraient bien être menacées : 47% des espèces de requins et de raies, 35% des mammifères marins et 24% des amphibiens sont classés en « données insuffisantes ».
- Il y aussi de bonnes nouvelles. Les espèces peuvent se rétablir grâce à des efforts concertés de conservation. En 2008, 37 améliorations ont été constatées chez les mammifères. Il est estimé que 16 espèces d’oiseaux ont évité l’extinction depuis 15 ans, grâce à des actions de conservation. La conservation agit, mais pour réduire la crise d’extinction il faut faire bien davantage, et vite. « Les écologistes sont souvent considérés comme des alarmistes, mais il faut continuer à alerter les décideurs sur les risques liés à l’inaction et le besoin d’abandonner des stratégies politiques à court terme fondées uniquement sur les résultats économiques », rappelle J.C. Vié. « La crise économique et financière montre qu’il faut écouter ceux qui donnent l’alerte. Il faut nous occuper davantage des espèces sauvages et notre société doit entreprendre de grands changements pour sauvegarder son propre avenir. »
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Ce qu’en disent les organisations partenaires
BirdLife International « La Liste rouge de l’UICN est la norme de référence pour définir les priorités de conservation les plus urgentes », dit Stuart Butchart. «Cette analyse, qui est la publication la plus complète à cette date, nous permet de mieux comprendre l’échelle et la complexité de la crise actuelle de biodiversité, et les mesures nécessaires pour y répondre. »
Société Zoologique de Londres « Pendant notre vie, des centaines d’espèces d’oiseaux, de mammifères et d’amphibiens pourraient disparaître en raison de nos propres actions », dit Ben Collen. « Des études préliminaires sur de petites espèces (libellules, coraux, crabes d’eau douce) montrent que pour elles ces taux pourraient être semblables ou même supérieurs. Nous devons fixer des objectifs précis pour inverser ces tendances et nous assurer de ne pas laisser pour héritage durable la disparition de ces petites créatures qui nous apportent des bienfaits aussi importants que la pollinisation, le cycle des nutriments et la régulation climatique ».
A propos de la publication
Wildlife in a changing world est disponible sur internet à (English). Des exemplaires papier seront disponibles en août. Une version française paraîtra plus tard dans l’année. Huit fiches d’information résumant les principales conclusions des différents chapitres sont d’ores et déjà disponibles en anglais, français et espagnol. La publication comporte 7 chapitres illustrés et 12 annexes détaillées. Elle comprend un grand nombre de photos, de cartes et de graphiques.
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